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Le Paradoxe dans un contexte de changement



Définition officielle du changement: Nom masculin signifiant le passage d’un état à un autre.

Définition non officielle : Nom masculin à la mode depuis le Big Bang qui constitue la raison d’être d’une multitude de nouvelles bébelles : sujets de cours d’université, création de théories organisationnelles, professions, proverbes, citations, livres, conférences, Ted Talk, mais surtout des slogans, des tonnes et des tonnes de slogans.


En 1960, le Parti Libéral du Québec portait sa campagne électorale avec la devise suivante: « C’est le temps que ça change ». Cinquante ans plus tard, la Coalition Avenir Québec choisissait pour sa part « C’est assez, faut que ça change! ». En 2017, une bisbille éclate entre deux maires au Québec à cause de slogans similaires, l’un promulguant « Le courage de changer les choses » et l’autre « Le courage du changement ». « Change we need » scandait Barack Obama…


Cette répétition ad nauseam depuis la nuit des temps de l’impératif du changement pointe-t-elle vers une aversion profonde de l’humain envers le statut quo? Détestons-nous à ce point notre état actuel? Pour ce qui de notre cerveau, la science nous montre plutôt le contraire : le cerveau ADORRRRRE le statut quo. Le cerveau souhaite à tout prix se vautrer dans ses vieilles habitudes : il est à l’aise dans sa zone de confort, répétant inlassablement les mêmes chemins synaptiques. Pour notre cerveau, le changement fait l’effet d’un réveil à trois heures du matin, avec un jet d’eau glacée et en background une chanson de Death Metal du groupe Corpse Cannibal. Non, le cerveau n’en a rien à foutre du changement (même si l’homme qui le contient voudrait bien perdre ses quelques livres de trop…).


On le sait, le changement est partout : parfois subtil, dans nos rides qui s’installent, dans la vue de nos enfants qui grandissent, dans la température qui change, dans les saisons qui passent. Et parfois moins subtil, dans la perte d’un emploi, dans le deuil d’un être cher, dans nos relations qui s’effritent, dans nos poignées d’amour qui s’étendent. Mais ce qu’on entend peu, c’est combien il est difficile pour l’humain que nous sommes de provoquer le changement plutôt que le subir, aussi désiré soit-il. N’en déplaise aux pseudo-coachs de ce monde qui nous promettent des transformations immédiates et miraculeuses.


Mais difficile ne signifie pas impossible. Malgré les apparences, oui, le changement est possible.


13 septembre 1848, Vermont, États-Unis. Des ouvriers travaillent à prolonger la voie ferrée vers la ville de Cavendish. Le problème, c’est qu’une roche bloque le chemin. Une grosse roche qu’il faut faire exploser. Le contremaître Phineas Gage est spécialiste en la matière. Il prépare les explosifs pour faire sauter la roche en bourrant une barre de fer d’un mélange de poudre et de sable. Malheureusement, se laissant distraire par un ouvrier qui lui adresse la parole, il manie mal la barre de fer et… POUF! (ou BANG, je n’étais pas là), la poudre explose, la barre de fer pénètre la mâchoire de Phineas, lui transperce le crâne et ressort au sommet de sa tête.


Ouche.


Ce qui est étonnant, mis à part une barre de fer qui transperce un crâne, c’est qu’étrangement, Phineas se rétablit très vite. Il perd son œil gauche, mais s’avère totalement fonctionnel dans la vie de tous les jours, continuant à travailler et à vaquer à ses occupations quotidiennes. À une exception près. Son caractère change du tout ou tout : lui, gentil garçon, aimé de tous, poli et respectueux, devient irrévérencieux, déplacé, grossier et d’humeur changeante. Ses proches ne le reconnaissent plus. On disait alors que « Gage n’était plus Gage ».


Ce que cette histoire nous a appris à l’époque (à part de faire attention quand on joue avec la poudre), c’est qu’une altération du cerveau pouvait modifier le comportement. Alors qu’on pensait jadis que le cerveau était immuable et que notre personnalité et nos comportements ne pouvaient changer qu’en bas âge, le cas de Phineas Gage a permis aux scientifiques de conclure que le cerveau a la capacité de constituer de nouvelles synapses (même sans barre de fer, soyez sans crainte). Le concept de la neuroplasticité du cerveau était né.


Ainsi donc, oui, il est scientifiquement possible de changer habitudes et comportements. Un des principes fondamentaux du fonctionnement de la neuroplasticité est le concept d’élagage synaptique, c’est-à-dire l’idée que les connexions entre les neurones sont constamment éliminées lorsqu’elles ne sont pas utilisées. À l’inverse, ce mécanisme est renforcé lorsque les connexions sont très utilisées. En d’autres mots, programmer votre cadran à 4h00 du matin pour la première fois depuis un an et vous allez devoir vous battre contre le désir de votre cerveau pour ne pas snoozer. Répétez l’expérience pendant 90 jours et le lever du corps devrait être beaucoup plus facile le 91ème jour. Les connexions synaptiques se seront graduellement renforcées.


Ceci nous amène au deuxième point de cette chronique: s’il est possible de changer, comment en arriver à modifier nos habitudes? Pourquoi échouons-nous si souvent à réaliser nos objectifs pourtant si ardemment souhaités? Comment en arriver à manger mieux, s’entraîner davantage, trouver un meilleur travail, réaliser ce projet qui nous tient tant à cœur? Comment nos désirs les plus sincères peuvent-ils se muer en un changement concret?


En prenant de nouvelles voies et en les réempruntant souvent.


Instaurer un changement, c’est se frayer un chemin dans une forêt dans laquelle nous n’avons peut-être jamais mis les pieds et le revisiter jusqu’à ce qu’il nous soit complètement familier. C’est seulement par la répétition de nouvelles expériences que les mécanismes de la récompense de notre cerveau sont contrecarrés et que de nouvelles connexions synaptiques sont développées pour induire le changement. Bien sûr, savoir qu’il est possible de changer et connaître la façon d’y arriver ne signifie pas que la partie est gagnée, mais au moins, malgré les échecs répétés, nous savons que c’est possible et qu’en étant motivée, en établissant des objectifs atteignables, en étant accompagné par des proches ou des professionnels, on peut tout à fait y arriver.


Et nous n’avons pas le choix, puisque le changement nous accompagnera jusqu’au Big Crunch (ou au Big Freeze selon vos hypothèses cosmologiques). Comme nous le rappelle Ray Kurzweil, un chercheur, ingénieur et futurologue américain, le rythme des avancées technologiques est incroyable : le progrès acquis depuis l’an 2000 a été cinq fois plus rapide que celui vécu dans tout le 20ème siècle et, considérant le facteur exponentiel, le 21ème siècle devrait atteindre mille fois le progrès vécu au siècle passé.


Dire que des changements de plus en plus intenses et rapides nous attendent dans le futur est un euphémisme. Les vents sont forts et continus. Dans ces conditions, trois impératifs pour ne pas être emporté par le courant : (1) embarquer dès maintenant dans le bateau, (2) bien choisir sa propre destination et (3) savoir ajuster ses voiles en conséquence. L’horizon est extraordinaire et sans limites pour ceux qui sauront le faire.








Isabelle Fréchette


Autrice invitée

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